Axe 2 | Espaces et temps du soin

Mots-clefs : architecture, design, expérience

La santé est organisée en espaces cloisonnés. De la chambre d’hôpital à l’hôpital jusqu’à la répartition géographique des établissements de santé, y compris dans des perspectives culturelles comparées, l’architecture rappelle que la mise en espace du lieu de soin informe le soin lui-même. L’accueil en lui-même ne suffit pas au soin, un espace doit être organisé à cette fin. Nous le savons depuis la reconfiguration des hôtels Dieu à la fin du XVIIIe siècle. Quels imaginaires sous-tendent les espaces hospitaliers aujourd’hui ? Les valeurs du soin trouvent leur traduction matérielle dans des conceptions spatialisées. Il s’agira d’examiner si et comment la conception de l’espace induit, soutient ou court-circuite une éthique de relation de soin. Comment la construction architecturale d'un lieu de soins soutient-elle la construction psychique et comment les valeurs de la relation de soin investissent-elles l’espace qui l’accueille ? Et, par extension, comment transposer ces valeurs du soin dans la sphère intime du domicile, de plus en plus un lieu de soin ?

Dans le contexte français, le soin est concentré dans l’espace de l’hôpital, avec une perception du temps relationnel comme un temps inutile à l’organisation. L’institution hospitalière est en effet soumise à des injonctions bureaucratiques. Lieu de tension, elle doit concilier des impératifs de différents ordres : économiques (réduction des dépenses et optimisation des process), sociaux (engorgement des services d’urgences), culturels (l’hôpital est est un espace où se concentre une diversité de représentations culturelles autour de la morbidité et de la santé), professionnels (chaque corps de métier qui y exerce défend ses intérêts, médecins, infirmières, transporteurs, etc.). Des impératifs éthiques également : quels temps, quelles pratiques, quels contextes favorisent la réflexion éthique à l’hôpital ? Quelles méthodes sont utilisées dans les comités d’éthique pour répondre à des situations qui engagent la vie des soignés et la responsabilité des soignants ? Ces dernières années, les règles éthiques encadrant la recherche à l’hôpital restreignent les possibilités d’enquêtes de sciences sociales comme on a les pu les connaître il y 20 ou 30 ans. C’est la raison pour laquelle, en dépit de la prééminence de l’hôpital en France, nos recherches exploreront aussi des espaces propices à l’innovation comme forme de marginalité sécante plutôt que comme application des principes classiques du management. Les réseaux et les associations nous semblent présenter à la fois la structure et la taille pour cela.

Les lieux communs du soin pourront également être requalifiés. Les couloirs, les chambres, les espaces de rencontres ne sont pas les territoires des seuls professionnels de santé, mais d’abord, ceux des personnes considérées comme malades et qu’on nomme, de manière transitoire et localisée, « patients ». Le médecin, s’il est dans « son » service, n’est-il pas aussi sur le territoire des malades ? Le dernier rapport du Ministère de la santé sur les nouvelles organisations et architectures hospitalières conclut par cette interrogation : « le rêve peut-il encore trouver une place dans la complexité de l’hôpital ? » Quelles imaginaires sous-tendent ainsi les espaces et les temps hospitaliers, depuis le domicile à la chambre de l’hôpital en passant par le trajet qui relie l’un à l’autre ? À l’échelle de la ville, du département, ou même de la région, le même raisonnement peut être opéré. Partir du territoire, en prenant en compte les déplacements du malade, c’est se départir de la primauté des intérêts des professionnels dans l’organisation du soin. Certaines maladies chroniques, telles que l’insuffisance rénale, sont particulièrement contraignantes d’un point de vue spatio-temporelles. La périodicité des dialyses ou l’attente d’une greffe attache la personne à un territoire, ce qui informe les conditions de vie au-delà de la seule condition médicale.

Prendre en compte l’espace et le temps nous pousse à envisager l’expérience de la personne dans le soin et autour du soin, au-delà du patient-reported outcomes qui restent une parole informée par l’institution. Des chercheurs canadiens et britanniques ont proposé de passer du « patient-centered » au « user-led ». À l’« evidence-based medicine » se superposerait ainsi l’« experience-based design ». Avec l’experience-based design (EBD), les patients ne se limitent pas à donner leur avis dans le cadre de focus groups. Ils sont membres de l’équipe en charge de réorganiser les services ou les parcours de soin. Il s’agit, pour les promoteurs de l’EBD, d’opérationnaliser les savoirs acquis par la médecine narrative. Les auteurs partent du principe que le processus peut être efficient, le traitement efficace, mais l’expérience du patient négative. Ce qui est aussi appelé experience-based co-design (EBCD) est conçu comme une recherche-action participative capable de remotiver les équipes soignantes, condition essentielle à l’amélioration de l’expérience du patient et de la qualité du soin. Le design fondé sur l’expérience prend donc racine dans des considérations à la fois éthiques et organisationnelles.
 

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